Huis clos – Une pièce engagée…

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avec Sophie Burger, Marie-Jo Dal Pozzolo,
Jean-Luc L’Hôte et Michel Olesinski
Mise en scène par Anne Clausse-Weinberg

 

La pièce de Jean-Paul Sartre est bien résumée dans ce texte. On peut y voir des lectures différentes car rien n’est explicite comme l’explique le dramaturge Jean-Claude Zivie qui a participé à la mise en scène de la pièce au Théâtre de l’océan.
Une pièce engagée…

Résumé
Trois personnages se rencontrent pour la première fois, après leur mort, dans un salon second Empire : Garcin (journaliste), Inès (employée des postes) et Estelle (riche mondaine). Ils ne se connaissent pas, viennent de milieux très différents, ne partagent ni les mêmes convictions ni les mêmes goûts. Peu à peu ils comprennent quʼils se trouvent en enfer et découvrent ce que cʼest : le poids du regard accusateur des autres sans possibilité de fuir. Obsédés par les actes quʼils ont commis, ils se débattent tout au long de la pièce pour échapper au poids de ce regard, en vain… Chacun dʼeux est condamné à être tour à tour le bourreau et la victime des deux autres pour lʼéternité.

Quatre morts-vivants…

Le Garçon: le soi-disant «garçon dʼétage», chargé dʼaccompagner les trois personnages dans un salon style Second Empire. Il est le gardien de cet Enfer, ou plutôt de cet hôtel de qualité, comme semble lʼattester son service stylé et parfois presque impertinent.

Inès Serrano : contrairement aux deux autres, elle ne se fait pas dʼillusions sur lʼendroit où elle se trouve. Elle les oblige à admettre les vraies raisons de leur présence en enfer, leur fait prendre conscience de leur lâcheté et leur fait comprendre quʼils sont responsables de ce quʼils ont fait. Elle-même a tué son cousin pour pouvoir séduire sa femme et est parfaitement consciente de ses actes. Elle dit avoir besoin de la souffrance des autres pour exister. Elle est intelligente, lucide, austère.

Joseph Garcin : il se présente comme un héros pacifiste dont le destin était dʼêtre fusillé pour désertion car il vivait selon ses principes. En réalité, cʼest un homme qui, toute sa vie, a pris plaisir à faire souffrir sa femme. Cʼest aussi un homme qui, quoiquʼil en dise, se trouve lâche. Il nʼassume pas dʼavoir déserté. Il est ordinaire et a la chair faible.
Estelle Rigault : elle se présente comme une orpheline qui a épousé un vieillard pour aider son frère malade avant de mourir de pneumonie. En réalité, elle a tué son bébé sous les yeux du père qui sʼest suicidé. Elle est bavarde, superficielle, sensuelle, vaniteuse.

«QUELQUES OUVERTURES SUR UN HUIS CLOS…»
par Jean-Claude Zivie, dramaturge

Une pièce de théâtre fameuse, un auteur célèbre. Une sentence finale propre à toutes les équivoques : << l’Enfer, c’est les Autres >>. L’équivoque encore, avec la création de l’œuvre sous l’Occupation. Et c’est annoncé comme une << pièce en un acte >>, ce qui autorise le collaborateur Pierre Drieu La Rochelle, par ailleurs écrivain, à juger perfidement dans son Journal 1939-1945 que << c’est facile de faire bien quand on fait si court >>…

Nous voici mal partis. Mais ce n’est pas tout. Un thème suranné, l’Enfer ? Parmi nous, les croyants vont-ils finir par accepter qu’un penseur réputé athée se permette de s’approprier un thème en somme central de la vie religieuse ? Et les mécréants et autres incroyants, qu’est-ce qu’ils ont à faire de l’enfer, je vous le demande ?

Aggravons notre cas. Voici, oh là là, une pièce classique ! Eh oui, la fameuserègle des trois unités, si chère au théâtre du XVIIème siècle, est parfaitement respectée. Lieu, temps, action, tout y est, vous pouvez vérifier.

Le lieu, c’est certes l’Enfer, mais très précisément << un salon style Second Empire >>, dont on ne sort à aucun moment de la représentation ! Quant autemps, ah, c’est l’unité par définition, puisqu’il s’agit de l’éternité… Mais disons, si l’on peut le dire, que la pièce s’occupe du début de l’éternité. Reste l’action, et alors là, je vous laisse le choix : vous pouvez dire qu’il ne se passe rien, et qu’il ne peut d’ailleurs rien se passer, puisque les personnages de cette pièce sont tous morts. Mais vous pouvez aussi considérer que l’action, ce sont leurs interactions, toujours tournées vers les autres, vers << tous ces regards qui me mangent >>.

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Où en sommes-nous ? Il s’agit donc d’une piécette, classique, surannée, dépassée et, last but not least, parfaitement ennuyeuse. Il y a pire, et cette fois nous mériterons bien l’Enfer pour avoir ressorti cette vieillerie ! Tenez- vous bien : l’auteur, dénonçons-le enfin, est un certain Jean-Paul Sartre. Oui, celui-là même qui s’est occupé de politique et de société au lieu d’écrire tranquillement dans son coin, celui qui a refusé le Nobel et qui s’est mêlé de mai 68, sans parler de tant d’autres conduites incongrues, ou même carrément déviantes ! D’ailleurs, je vais vous faire une confidence : dans mon exemplaire personnel du Nouveau Petit Larousse illustré de 1940, Sartre n’existe pas. Vous voyez bien !
Voici donc un premier état des lieux. Eh bien, disons-le enfin, c’est délibérément que nous avons choisi de vous présenter Huis clos de Jean-Paul Sartre ! Et voici pourquoi.
Il y a d’abord l’huis qui est clos. Des personnages, enfermés, derrière une porte fermée, dans une pièce dont on ne sort pas. Tout se passe là. L’espace de la scène correspond à l’espace de la pièce. Dans un théâtre à l’italienne, avec des spectateurs assis, qui ne sont pas censés se déplacer pendant la représentation, il s’agit d’un dispositif simple, réaliste, crédible. Classique, si on veut. Extrêmement exigeant pour les comédiens. Ils embarquent avec eux les spectateurs, pour cultiver ensemble l’identification, sans aucune recherche ici de distanciation… Du début à la fin de la représentation, construite de façon extrêmement précise, il n’est pas question que se relâche la tension, qui unit scène et salle, je devrais dire : qui unifie !

Nous sommes peut-être dans un hôtel de qualité, comme semble l’attester le service à la fois stylé et parfois presque impertinent du garçon d’étage, ou encore le style Napoléon III (des canapés, une cheminée, un bronze de Barbedienne). Alors ce serait ça, l’Enfer. Un décor has been des années 1860 pour une pièce des années 1940 ?

Huis clos est écrit sous l’Occupation, dès 1943, et c’est sous l’Occupation qu’a lieu la première représentation, le 17 mai 1944, à Paris, au théâtre du Vieux-Colombier. Et Huis clos est aussi une métaphore de l’Occupation, d’une efficacité redoutable. Vous êtes conduit dans une cellule, par un garde korrect,blasé et parfois insolent. Des personnages vous rejoignent. Autour de votre cellule, il y a d’autres cellules, et, au- delà, l’inconnu, l’inaccessible. En tout cas, vous êtes enfermé, pour une durée arbitraire, indéterminée, autant dire l’éternité.

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Bien sûr, cet enfermement fait penser au destin de tant de Résistants pendant ces années-là. Nous n’oublions pas, cependant, que les personnages de la pièce ne sont pas très brillants. Permettez-moi de dire, sans vous offenser, qu’ils nous ressemblent, à vous et à moi, constituant un échantillon d’humanité ordinaire, confrontée à un destin qui la dépasse. En ce sens, la situation des Français en général, enfermés dans leur pays, surveillés par les polices et les milices de Vichy, de Paris et de Berlin, et bouclés dans un hexagone réduit, gardé par les Allemands, ce huis clos en somme, doit avoir été pour quelque chose dans la genèse, consciente ou inconsciente de Huis clos. Alors, vous et moi, qu’en est-il ? Sommes-nous enfermés ? Et les autres, dans tout ça, est-ce qu’ils nous compliquent encore la vie ? Déjà deux niveaux de lecture, soutenus par des situations théâtrales efficaces. Mais avant tout, une pièce vivante, servie par une jeune compagnie. Une pièce pour la jeunesse. Oui, que faire de moi, vraiment, avec les autres ? Et comment aller vers ma vie propre sans la rater ? Les quatre morts-vivants de l’Enfer nous enseignent, a contrario, la liberté.

Jean-Claude Zivie février 2011

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